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Fat-shaming ou grossophobie : résurgence du phénomène au temps de la pandémie

En pleine pandémie mondiale, et à entendre les lamentations des un(e)s et des autres, on dirait que les gens ont plus peur de grossir pendant le confinement que d’attraper le Covid-19.
Toute cette peur est bel et bien exprimée à travers les réseaux sociaux, en effet, on voit très souvent des commentaires vexants par rapport à la prise de poids potentielle pendant le confinement. On trouve partout des recettes « healthy » pour perdre du poids, des cours de sports pour brûler des calories ou encore des « memes » de mauvais goût et clairement humiliants vis-à-vis les personnes en surpoids...
Tous ces aspects poussent à se demander est ce que le gros fait vraiment aussi peur ?
En effet, oui, et ce n’est pas un phénomène nouveau qu’on découvre en ce temps de crise mais plutôt une forme de discrimination subtile et systématique qui a toujours existé mais qui est peu connue.
Pour décrire cette forme de ségrégation on a choisi le terme grossophobie, un néologisme entré dans l’édition 2019 du petit robert et qui réfère à « l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes en surpoids ou obèses ».
Également définie par l’organisation mondiale de la sante WHO par « Les attitudes négatives envers les autres et les croyances à leur égard en raison de leur poids. Ces attitudes négatives se manifestent par des stéréotypes et/ou des préjugés envers les personnes souffrant d’obésité ».
  • Nommer ce phénomène même si « la grossophobie » est un mot lourd de sens, permet tout simplement de mieux le combattre. 
Ces comportements peuvent se manifester dans différents milieux d’une manière directe (abus verbal..) ou indirecte (la mise dans des situations inconfortables, des commentaires désobligeants…) :
Milieu familial : Une personne grosse peut être rejetée et insultée par exemple par une tante qui lui dit « t’es jolie, t’est gentille mais ton visage ne va pas avec ton corps » ou en ayant des parents qui ne veillent pas sur l’éducation de leur enfant parce qui ‘il/elle est obese...
L’espace public : Une personne grosse* peut être rejetée et insultée par exemple au supermarché, de la part de la caissière qui lui dit « vous ne devez pas prendre du chocolat ça va pas vous faire du bien, », dans la rue par la voisine à laquelle on dit bonjour et qui répond « ah, t’as engraissé, est ce que ça va ? », ou encore dans la boutique de vêtements où on ne trouve généralement pas de grandes tailles.
Milieu de travail : Les gros sont souvent humiliés et refusés lors des entretiens d’embauches. Une recherche a démontré que 17% des femmes n’iront pas à des interviews d’embauche et 8% auront évité d’aller au travail parce qu’elles se sont senties dérangée par leur allure .Une autre étude suédoise a démontré que les salaires sont moins de 18% pour les personnes en surpoids. Et n’oublions pas les insultes qu’ils vont probablement entendre de la part des collègues de travail du genre « je ne veux pas travailler avec un gros », ou par le patron qui rejette un(e) employé(e) en croyant que qu’il/elle est moins intelligent(e) ou plus fainéant(e) à cause de sa masse corporelle.
Milieu médical : La grossophobie existe malheureusement là où on attend toute la bienveillance de ceux qui peuvent comprendre le fonctionnement du corps humain. Un(e) gros(se) peut être humilié(e) en le/la pesant sur une balance conçue pour les animaux .Une grosse peut être humiliée par un gynécologue qui lui dit par rapport à la question de la contraception « à quoi ça va servir ? Vous êtes grosse donc vous êtes stérile, et vous n’aurez pas d’enfants de toute façon » ou par un dentiste qui refuse qu’une personne en surpoids s’allonge sur le fauteuil dentaire...
Ce qui a été mentionné auparavant n’est que quelques exemples de la vie de tous les jours tirés de vrais témoignages de personnes grosses. La réalité est plus dure et plus complexe et on peut même dire qu’aujourd’hui, la stigmatisation liée à l’obésité est plus importante, car invisible, que celle liée à la couleur de peau.


Comme l’a décrit le sociologue Jean-Pierre Poulain, la grossophobie « est une forme de discrimination acceptée socialement »
Les raisons d’une telle adhésion sont bien multiples, à titre d’exemple, 
L’exposition intense à des modèles corporels standardisés et similaires dont la minceur fait partie intégrale :
La pub, les medias : Une étude menée par Canadien Medical Association Journal a prouvé que 22% des adultes se sont inquiétés par rapport à leur corps en raisons des photos qui circulent dans les réseaux sociaux.
Aussi, ces moyens encouragent la standardisation de certains modèles corporels en mettant très rarement à l’avant-plan des personnes grosses dans des rôles positifs non stéréotypés et en associant très souvent le poids au manque d’intelligence et de vigilance ,à la naïveté et l’incitation à la moquerie. On peut citer deux exemples de deux feuilletons tunisiens parmi les plus regardés et les plus appréciés : Elyeli El Bidh (le rôle de Dorsaf) et Choufli Hal ( le rôle de Sbouii).
Les compagnes de sensibilisation : Plusieurs études ont démontré que :
La sensibilisation par rapport à la prise de poids par le recours à des techniques comparatives ou l’appel à maigrir pour ressembler à telle personne ou telle célébrité ayant le corps mince et « parfait », n’est qu’une sorte de stigmatisation qui serait mal reçue par la personne concernée et ne va pas l’encourager à changer ses habitudes alimentaires .
Par contre les compagnes qui se sont concentrées sur l’alimentation équilibrée et la bonne santé pour tous étaient reçues plus positivement et ont démontré des résultats plus favorables.
Les normes sociales de beauté : Chaque société construit à travers son histoire des normes déterminant la beauté chez l’homme et la femme, par opposition ce qui ne l’est pas. Par exemple, en Corée du sud, il existe une règle sociale très ferme qu’une femme ne devrait pas surpasser les 50 kg, peu importe sa taille. Dans une société ayant des standards aussi sévères, les femmes recourent très souvent à la chirurgie ou la privation de nourriture, voire à des comportements alimentaires malsains, afin de ne pas être rejetée.   
L’industrie de la perte de poids : C’est une industrie qui mise sur l’insécurité et l’insatisfaction corporelle. Elle base l’ensemble de son marketing sur la vente du rêve de devenir ou de rester mince ou le désir de ne plus être associée aux clichés et à la représentation actuelle qu’on a des personnes grosses.
Le manque de connaissance et d’information correcte par rapport à la personne grosse 
La non acceptation du diffèrent : Les insultes ou la moquerie vis-à-vis des personnes grosses proviennent souvent de 3 pensées communes incarnées dans l’inconscient collectif : on pense que l’autre est un reflet qu’on n’a pas envie de voir de soi. On croit que les personnes qui ont des problèmes de poids manquent de volonté, elles sont passives, dépendantes, immatures, faibles et elles n’ont pas de contrôle sur elles-mêmes contrairement à nous. Et on croit aussi qu’il s’agit tout simplement de manque d’activité physique et de mauvaise alimentation.
Ignorance et mal compréhension des causes du surpoids/obésité : Plusieurs facteurs peuvent engendrer le surpoids ou l’obésité parmi lesquels je cite à titre d’exemple :
  • Les troubles de comportements alimentaires
  • La dépression
  • Les difficultés économiques et sociales
  • La peur du manque
  • Les traumatismes 
  • Les habitudes familiales 
  • Un déterminisme génétique 
  • Histoire de vie très compliquée
  • Victime de harcèlement


Les conséquences de tels comportements sociaux discriminatoires vis-à-vis des personnes en surpoids ou obèses sont diverses,
Tout d’abord, l’incitation à la perte de poids a démontré son inefficacité : 
Une recherche publiée en 2019 dans The Obesity Society Journal a prouvé que non seulement l’humiliation ne fait pas perdre du poids mais peut créer aussi des réponses inflammatoires (une réponse littéralement scientifique).
Une autre recherche publiée dans Canadien Medical Association Journal a prouvé que plus les gens sont exposés à des propos grossophobes plus ils étaient susceptibles à prendre du poids et devenir obèses, même s’ils étaient au départ minces. Ils risquent aussi de mourir de plusieurs autres causes non relatives à leur masse corporelle.
Une autre recherche menée à Harvard Chan School a montré que la grossophobie peut être aussi nuisible au corps humain qu’une mauvaise alimentation ou un manque d’activité physique.


Répercussions psychologiques et physiques : Les personnes grosses victimes de grossphobie risquent plus que les personnes normales d’éprouver des problèmes de santé mentale. Ces personnes se sentent intimidées, se croient « moins que rien », se sentent haïes et que leur vie n’a pas de sens. Ils se trouvent toutefois mal dans leur corps à cause du regard de l’autre. Ceci risque de nuire à leur santé mentale et leur condition psychologique préexistante ou les mener à souffrir d’une dépression, bipolarité ou autre. 
On peut aussi parler de la grossophobie internalisé c’est-à-dire, une grossophobie qui aurait était assimilée par une personne et adoptée par elle, dans le cadre d’un processus mental inconscient (American Psychological Association). Ceci peut mener des personnes à vouloir perdre du poids uniquement par désir d’auto-préservation, par « instinct de survie » et pour se débarrasser de la pression et aux agressions qui viennent avec le fait d’être une personne grosse dans une société grossophobe. Toutefois, il faut mentionner que maigrir simplement pour se soustraire à la grossophobie est lui-même un comportement grossophobe.
Parmi les autres problèmes qui pourraient naître afin de soulager l’état de malaise et de stress permanent chez une personne grosse est le fait de se retourner vers la nourriture ou avoir des crises d’hyperphagie (manger de grandes quantités en peu de temps et se faire vomir). Ceci perpétue un cercle vicieux sur le plan de l’alimentation et de la santé mentale. 
Répercussions sociales : Les personnes souffrant de grossophobie, ont souvent peur de rencontrer le regard de l’autre et de sentir jugées. Par conséquent, ils préfèrent s’enfermer sur eux-mêmes, éviter les rencontres familiales et tout évènement sociale. Cependant, ils évitent de se rendre dans des lieux publics : évitent d’aller se baigner, préfèrent les livraisons à domiciles au lieu de sortir…etc. Ils évitent très souvent d’avoir des amis ou ils gardent un cercle d’amis restreint. Ces personnes trouvent du mal à entrer dans des relations amoureuses ou avoir une vie sexuelle «normale ».


Il faut admettre donc la nécessité d’une prise de conscience commune de ce sérieux problème. En acceptant le fait qu’on est grossophobe et en essayant de se remettre en question et de déconstruire les préjugés, en admettant que l’acceptation inconditionnelle des corps ne commence pas à un certain état de santé ou à une certaine morphologie, et en laissant la place à la bienveillance et à la tolérance et l’acceptation de soi et de l’autre.
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*Le mot gros/grosse n’est pas une insulte mais simplement un qualificatif d’un état physique comme d’autres et qui ne doit pas être lié à une connotation péjorative et surtout pas à des comparaisons vilaines (à des animaux/objets).

Rahma Krichah















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